Par C.G.
Le bébé prend toute la place dans son ventre. Elle donnerait tout pour qu’il sorte enfin. Ce n’est plus elle qui le porte, c’est lui qui la contient entièrement. Il y a onze jours aujourd’hui qu’il devait sortir mais, il prend son temps avait ri le docteur. On voit bien que ce n’est pas lui qui est rempli comme ca. Tellement pleine, qu’elle ne sait plus où se mettre.
Elle roule d’un côté et d’autre du lit pour prendre un peu d’élan et se redresser sur les avant-bras. Tendus en arrière, les bras supportent son poids, elle peut ainsi faire glisser ses jambes sur le côté droit et poser un pied à terre. Assise au bord du lit, elle cherche l’énergie nécessaire à la lente impulsion, arque son torse, avançant les épaules et provoquant une bascule de tout le corps. Elle atterrit enfin sur les deux pieds, debout, épuisée par l’exercice.
La peau du ventre est fine et tellement tendue qu’on dirait qu'elle va craquer. Ca tire, ça gratte, ça picote et puis c’est lourd maintenant. Au début, elle était intriguée par cette présence à l’intérieur d’elle. Mais maintenant, elle se sent juste encombrée, gênée par l’incongruité d’un autre dans son intimité. Il l’a carrément délogée, mise à la porte de son propre corps, de sa propre vie.
Elle glisse dans ses pantoufles qui l’attendent au pied du lit, mais renonce à ramasser le linge qui gît. Ce serait un trop grand effort que de se pencher en avant et risquer la culbute. Elle attrape une veste abandonnée sur un fauteuil et l’enfile lentement. Dépliant son bras droit pour passer une manche: les mouvements sont lents, plein de précautions. Elle étire le bras gauche, le contact de la laine sur sa peau est chaleureux, mais elle a tout de même peur que ça pique. Et elle ne supporte pas la moindre incommodité. Elle soupire en attendant la réaction de sa peau. Puis décide de ne plus y penser.
Un regard sur la valise posée au sol la rassure: tout est prêt. Tout, sauf lui apparemment.
Elle longe le couloir non loin du mur, s'agrippe à la rampe pour descendre l’escalier à reculons. Elle pense sérieusement en finir avec ses promenades quotidiennes.
Dans la rue, elle avance si lentement qu’on ne peut que la bousculer, elle fait entrave aux passants, campées sur ses jambes pour garder l’équilibre, les bras le long du ventre, prêts à dégainer. Elle ne pense qu’à la chute, qu’à l’accident qui fera crever la poche. Il vaut mieux qu’elle ne sorte plus.
Elle sent qu’elle se retire, qu’elle ne fait plus partie de cette humanité qui court de tous les côtés. Elle a perdu tout intérêt pour les conversations quotidiennes, se rend bien compte qu’elle ne pense plus qu’à lui. C'est comme si elle laissait sa place à quelqu’un d’autre, quelqu’un qui prend déjà toute la place.
Elle sait ce à quoi elle renonce, ce qu’elle ne sait pas encore, c'est ce qui l’attend: les nuits blanches à bercer le bébé, la radiographie après la chute de vélo, la logorrhée des parents d’élèves le matin, les portes claquées de l’adolescence, les équations à trois inconnues, un emploi stable et enfin se retirer, disparaître sans bruit de son existence.
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