Sous le voile blanc d'Amsterdam, écrit par Alexandre Martinez, a remporté le deuxième prix de notre concours de nouvelles.
« C’est une idée stupide ».
Fidèle à lui-même, Douglas imposait un avis tranché. Il rehaussa les lunettes sur son nez du bout de l’index avant de poursuivre. « D’abord Amsterdam est couverte de neige, et ensuite le protagoniste porte le même prénom que l’auteur ? C’est présomptueux.
- Il aurait pu lui donner le nom du second protagoniste, estima Maarten, le regard plongé dans le manuscrit qu’il avait en main ».
Maarten était assis en face de Douglas. De nombreux papiers étaient éparpillés sur la table qui les séparait. « Celui qui s’appelle Fulco ? s’enquit Wira, qui était assise à côté de Maarten. C’est un nom de chien ça !
- Pas du tout, défendit Maarten, c’est un prénom néerlandais.
- Bah ça fait penser à un chien, trancha-t-elle.
- Ou à une marque de soda, ajouta Antoine, qui faisait face à Wira.
- Au-delà du prénom, le vrai problème reste le thème de la nouvelle, arrêta Douglas. L’hiver à Amsterdam est trop restrictif pour représenter la culture néerlandaise ».
Blond, les cheveux impeccablement laqués, bien droit sur sa chaise dans son costume blanc, Douglas arborait comme à son habitude cette attitude supérieure qui irritait tout le monde. Assis en face, Maarten était effondré dans sa chaise et portait une tenue simple, jean et T-shirt bleu. S’il ressemblait physiquement à Douglas, il ne portait pas de lunettes et ses cheveux blonds s’exprimaient librement.
« Ça suffit. Annabelle sauta enfin dans le débat. On n’avance pas. Maarten, c’est toi qui as présenté ce manuscrit ?
- Oui, c’est l’un des miens.
- Reprends-le, expédia-t-elle. Chacun de vous, reprenez vos manuscrits. Allez ».
Tous obéirent. Efficace comme toujours, Annabelle regardait ses jeunes éditeurs se pencher sur la table, et mêler leurs bras tendus pour réunir leurs documents. Elle restait assise, croisant les bras, impérieuse en bout de table. Sa frange de côté, de couleur rouge velours, épousait magnifiquement les traits fins de son visage. « Vous avez sélectionné trois nouvelles parmi toutes celles que l’on a reçu pour le concours, reprit-elle. Au lieu de les noter aléatoirement, je veux que chacun d’entre vous les classe de la moins bonne à la meilleure.
- Je n’en ai qu’une seule, annonça Douglas, qui n’avait effectivement qu’un unique document devant lui. Ce texte se distinguait de tous ceux que j’ai reçus, il gagnera, affirma-t-il, soutenant le regard d’Annabelle ».
« Très bien, jugea-t-elle après quelques instants. Place-le dans la pile des moins bons, ordonna-t-elle, ne cédant rien à Douglas ».
Il détourna les yeux le premier, désarmé par le regard perçant d’Annabelle, rigide dans son impeccable costume gris clair. Chacun des quatre éditeurs avait reçu une dizaine de nouvelles pour le concours annuel de leur journal francophone, Les Nouvelles des Pays-Bas, destiné aux expatriés français, ici, aux Pays-Bas. Maarten était le seul employé néerlandais du journal, et sa culture était quotidiennement mise à rude épreuve : le concours sur le thème des Pays-Bas était donc bienvenu. D’autant plus que le premier prix sera remis par la Reine Máxima en personne ! Elle était la marraine du concours, œuvrant pour la promotion de la culture néerlandaise.
L’éditeur du texte vainqueur accompagnera bien sûr son auteur pour la remise du prix, et rencontrera donc la Reine. Mais avant de rougir à l’idée de recevoir une bise de la sublime Máxima, Maarten devait d’abord s’assurer que l’un de ses textes remporte le concours.
« Bien, commençons ».
Annabelle énonça les règles simplement. « Nous allons confronter les nouvelles que vous avez jugé les moins bonnes. Comme l’avis unique d’un éditeur peut être subjectif, nous allons débattre ensemble de ces textes. Vous êtes quatre, nous en éliminerons donc deux et garderons les deux autres pour les confronter aux manuscrits suivants.
- Ceux que nous avons classés en seconde position ? demanda Antoine.
- Exact, clarifia Annabelle. Nous débattrons à nouveau pour sélectionner les deux manuscrits qui seront ensuite confrontés aux meilleurs. Enfin, nous déciderons du vainqueur. Qui veut commencer ?
Maarten avança les feuilles volantes de Sous le Voile Blanc d’Amsterdam. Il s’agissait du texte si vivement critiqué par les autres quelques minutes plus tôt. Maarten l’avait jugé plutôt bon, lui, au-delà du thème peut-être un peu trop restrictif.
« C’est une blague j’espère ? s’écria Wira, arrachant Maarten à sa réflexion.
- Comment ça, une blague ? se défendit Antoine.
- La République bâtarde ? Sérieusement ? s’offusqua-t-elle.
- À la lecture on comprend que l’auteur a voulu dire la République batave, argua Antoine.
- Quand bien même, on ne peut pas primer une nouvelle censée faire l’éloge des Pays-Bas avec un titre pareil ! Encore moins pour le publier dans notre journal ! »
Sous l’agitation, l’épais carré court de Wira se balançait devant ces lunettes rondes. En plus de ses cheveux très noirs, sa peau mate et ses yeux en amande amplifiaient son air naturellement sauvage. Wira s’était levée d’un bond, elle était vive malgré sa corpulence imposante. « Tu devrais te montrer plus respectueuse envers l’auteur, la corrigea Antoine. Malgré les défauts du texte, il a peut-être fourni un réel effort.
- Ce n’est pas l’auteur que je critique, rétorqua Wira du tac au tac, c’est ta capacité à juger un manuscrit !
- Ça suffit vous deux, trancha Annabelle. Si Antoine l’a placé en troisième position, c’est bien qu’il ne le jugeait pas capable de remporter le concours ».
Wira réajusta son gilet de laine noir sur sa robe à fleurs jaunes, puis se rassit. Douglas saisit le document et le parcourut du regard. « Le contenu lui-même n’est pas bon, jaugea-t-il. On dirait un atlas des Pays-Bas, il liste les provinces, fait mention des phases historiques du pays… au moins il a étudié le sujet, ironisa-t-il.
- Exactement, appuya Antoine, opportun. Le manuscrit de Wira, lui, n’est qu’un simple condensé de clichés ».
Maarten était en train de lire le texte en question. Effectivement, le contenu trahissait une vision naïve de la culture néerlandaise. Au moins l’histoire était amusante. « Le protagoniste est le seul français dans un camping de Provence envahi par une clientèle néerlandaise, c’est bien ça ?
- Oui, confirma Wira, et il éprouve des difficultés pour s’adapter au rythme des Hollandais. Comme par exemple quand il a rendez-vous au village voisin avec les autres jeunes ; il est le seul à prendre le bus. Les Hollandais eux, se déplacent tous à vélo.
- On dit les Néerlandais, intervint Antoine. Les Hollandais, ce sont les habitants des provinces de Hollande.
- Je sais, on fait tous l’amalgame ! grinça Wira. Tu ne l’aurais même pas remarqué si ton auteur n’avait pas passé un quart de sa nouvelle à l’expliquer !
- C’est mieux que des mentions de chaussettes-sandales et de dîner à dix-huit heures, rétorqua-t-il.
- J’ai apprécié l’anecdote sur le dîner, confia Maarten, souriant. Le Français invite une jeune fille à un dîner romantique sur la plage, où il espère assister au coucher de soleil. Mais il n’a pas précisé l’heure et la Néerlandaise arrive bien trop tôt, avant même que le protagoniste n’entame les préparatifs. Et, se croyant victime d’une moquerie, elle refusera de revoir le pauvre garçon !
- Les manuscrits d’Antoine et de Wira ont l’air assez moyens, jugea enfin Annabelle. Douglas, Maarten, qu’en est-il des vôtres ?
- Comme je vous l’ai dit, le mien est excellent, annonça Douglas. L’histoire couvre une discussion philosophique entre un urbaniste et une naturaliste qui randonnent sur les bords du Rhin. Le titre, La Randonnée Savante, illustre bien cette narration très instruite. L’œuvre couvre des sujets divers comme l’architecture traditionnelle faite de briques et la gestion des crues à l’aide des canaux.
- Montre-moi ce texte, décida Annabelle, visiblement intriguée ».
Douglas lui tendit les quelques pages qu’il avait entre les mains.
« Effectivement, c’est un texte unique, déclara-t-elle. Mention spéciale à l’exploitation des tourbières autour d’Amsterdam pendant la Révolution Industrielle. Maarten, sais-tu si les canaux actuels sont réellement hérités des tranchées laissées par cette exploitation ?
- Pour certains, oui, répondit-il. J’ai vu ça en fac d’histoire, et ça m’avait déjà surpris à l’époque.
- Intéressant, jugea Annabelle, l’auteur est très bien renseigné… Qu’en est-il de ta nouvelle, Maarten ?
- Pour ma part, c’est encore la nouvelle sur l’hiver à Amsterdam, hésita Maarten. Son point fort est son histoire rafraîchissante.
- Parce qu’en hiver ? plaisanta Antoine, noyé dans un pull-over rouge bien trop grand, et se balançant sur sa chaise. Fier de sa blague, son visage s’était illuminé. Il avait la peau aussi blanche que le lait et le visage couvert de taches de rousseur. Il brassait machinalement sa chevelure brune ébouriffée.
- Parce que drôle et bien écrite, rétorqua Maarten. Les protagonistes, un Français, un Néerlandais et une Sud-Africaine, parcourent Amsterdam en hiver et des situations inattendues liées à leurs différences culturelles se déclenchent.
- Je dois reconnaître qu’elle est bien mieux que ce à quoi je m’attendais, avança Wira, après avoir parcouru quelques pages.
- On retrouve cette mention des cyclistes, expliqua Maarten, avec le protagoniste néerlandais, le dénommé Fulco, qui se déplace à vélo malgré le gel sur les pistes cyclables. Ses amis étrangers le suivent à grand-peine.
- J’ai bien aimé, enchérit Antoine, comme ils sont distraits par les scènes de ménage qui se présentent à eux derrière les fenêtres. Les Néerlandais ne ferment pas tous leurs rideaux : chose impensable en France !
- Sans compter le patinage sur les canaux gelés, ajouta Wira. Encore un phénomène traditionnel dont on ne parle jamais ! ».
Maarten fut surpris par leurs changements d’avis. La discussion continua, chacun comparant son texte aux autres et, assez rapidement, Sous le Voile Blanc d’Amsterdam fut sélectionné pour la phase suivante avec La Randonnée Savante.
Sans attendre, Annabelle annonça la suite. Maarten présentait une fiction historique qui narrait le combat entre un équipage pirate néerlandais et une flotte espagnole. « Le Fokke est un bâtiment pirate qui sème la terreur sur les sept mers. Lorsque la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, basée à Batavia, est menacée par une flotte espagnole, elle fait appel au Fokke pour les libérer.
- C’est où Batavia ? demanda Antoine, ouvrant de grands yeux ronds.
- C’est l’ancien nom de Jakarta, répondit Wira.
- Et… c’est sur la côte néerlandaise ? hésita-t-il, toujours aussi peu éclairé.
- C’est la capitale de l’Indonésie, andouille ! s’exclama Wira. Ça faisait partie de l’Empire coloniale des Provinces-Unies.
- Exact, appuya Maarten, heureux de voir quelqu’un mentionner l’histoire de son pays. D’ailleurs, le contexte historique est plutôt bien décrit dans le récit. La flotte espagnole envisage de frapper Batavia pour reprendre le contrôle des Provinces-Unies qui étaient auparavant sous leur domination, pendant l’ère des Pays-Bas espagnols. La stratégie des pirates est si surprenante que les Espagnols soupçonnent le Diable de les guider.
- Ça n’en reste pas moins une énième réinterprétation du mythe du Hollandais Volant, contra Douglas. Le nom du bateau, Fokke, est en réalité le nom du capitaine qui pourrait avoir inspiré la légende.
- Je rappelle que le thème du concours, c’est la culture néerlandaise, intervint Annabelle. Maarten, ton texte colle-t-il au thème ?
- Pas vraiment, reconnut-il. Il s’agit surtout de la narration d’une bataille navale…
- Mon manuscrit en revanche, illustre parfaitement l’héritage culturel des Pays-Bas, intervint Wira. Il met en scène une classe de collégiens qui organise une reconstitution coloniale dans le quartier de Bijlmer, à l’est d’Amsterdam. Ce quartier possède une très mauvaise réputation marquée par la criminalité et la pauvreté d’une population immigrée…
- Ce n’est plus vraiment le cas tu sais, la coupa Maarten. Bijlmer est maintenant la façade du multiculturalisme d’Amsterdam.
- Je sais, merci. C’est d’ailleurs là que le texte devient intéressant : ces collégiens viennent du cœur d’Amsterdam et représentent une jeunesse ouverte d’esprit par opposition à leurs parents, riches blancs qui ont méprisé ce Bijlmer pauvre et communautaire. Cette population bourgeoise va alors être confrontée aux locaux le jour de la reconstitution, dans des scènes pleines de quiproquos et de clichés sociétaux. C’est assez divertissant.
- J’ai particulièrement apprécié la manière dont la fracture sociale apparaît, ajouta Maarten, comme ce vieux couple d’aristocrates qui entrent dans un fast food pour la première fois et qui commande un poulet aux morilles !
- Ou la vieille bourgeoise qui pense que tous les immigrés viennent du Suriname ! s’amusa Antoine.
- Oui, c’est très drôle, et les dialogues nous plongent dans l’ambiance, avec un style d’écriture très familier pour les locaux, qui s’oppose au style soutenu des riches !
- Et bien moi aussi, j’ai un texte intéressant, avança Antoine.
- Fais voir, demanda Wira ».
Maarten se pencha vers sa collègue pour lire le manuscrit avec elle.
« C’est l’histoire d’un petit club des îles frisonnes, Ameland, qui réalise un parcours inattendu et héroïque pour remporter la coupe des Pays-Bas, expliqua Antoine.
- C’est juste du foot ? dédaigna Douglas.
- Le football est un phénomène culturel majeur ici, défendit Antoine.
- Au-delà du foot, le texte caractérise intelligemment la culture frisonne, avança Maarten.
- La quoi ? s’enquit Antoine.
- La Frise possède sa propre histoire et sa propre langue, expliqua Maarten. Ils en sont assez fiers d’ailleurs. Et au-delà de la compétition, c’est la victoire des frisons sur les Pays-Bas qui se joue dans ce texte. C’est très métaphorique.
- Ah ? Mais c’est toujours les Pays-Bas, non ? mésestima Antoine.
- Tu as sélectionné un bon texte malgré toi ! se moqua Douglas ».
Maarten argumenta diligemment pour faire reconnaître l’intérêt de la Frise à ses collègues, toujours prêts à dédaigner sa culture. Annabelle jugea cependant que le texte d’Antoine, malgré ses qualités, représentait d’avantage la Frise que les Pays-Bas. Sous le Voile Blanc d’Amsterdam était maintenant débattu.
« L’auteur traite de sujets importants avec un ton léger, constata Wira. J’ai bien aimé quand le protagoniste français s’insurge devant un spectacle de rue mettant en scène Saint Nicolas et son serviteur Pierre le Noir.
- Ah oui ! s’exclama Maarten. Les habitants ne prêtent même pas attention à cette représentation que le français juge raciste. La situation tourne à l’émeute suites à ces remarques, entre ceux qui défendent une tradition innocente et ceux qui hurlent à l’esclavagisme !
- Paniqués par l’émeute, ajouta Wira, les personnages ne peuvent fuir qu’en s’élançant à vélo sur le canal gelé. Et trouvant lumineuse l’idée de pédaler sur la glace, les Néerlandais commencent à les imiter, initiant ainsi un nouveau phénomène culturel ! »
Les louanges se poursuivirent. Maarten fut surpris de voir son manuscrit désigné pour la dernière phase de sélection. Il avait maintenant deux textes en finale, donc deux fois plus de chances de rencontrer la reine Máxima, si belle, si douce ! Conscient du caractère enfantin de son admiration, il cachait son excitation à l’idée d’être en sa présence. Mais même s’il se sentait coupable d’éprouver de tels sentiments égoïstes, il ne pouvait que remercier les organisateurs de l’avoir choisie comme marraine plutôt que la précédente reine Beatrix ; elle lui inspirait une peur bleue, avec son regard si dur et son air si hautain ! Il en frissonnait rien que d’y penser !
« Mon dernier manuscrit décrit la relation entre le quotidien des Néerlandais et la famille Royale, commença Antoine. La maison d’Orange-Nassau est mise à l’honneur. L’auteur ne manque pas de mentionner que la couleur orange de l’équipe de foot vient de là !
- La couleur orange est présente partout chez nous, pas que pour le foot, corrigea Maarten.
- Peu importe, expédia Douglas. Si c’est juste ça, c’est hors sujet.
- Non, intervint Maarten qui avait le texte sous les yeux. Le quotidien est rythmé par des jours comme la Fête du Roi, notre fête nationale.
- Oui, renchérit Antoine. Par exemple la Fête du Roi, qui célèbre la royauté, est marquée par une fête de la musique à La Haye.
- C’est le jour de l’anniversaire du roi, rectifia Maarten.
- C’est pas logique, dit Antoine, ça veut dire que vous avez une nouvelle date à chaque nouveau roi ?
- La date a en effet été changée deux fois, expliqua Maarten, mais elle célébrait l’anniversaire des Reines précédentes, pas des Rois… ».
Le manuscrit d’Antoine fut finalement vite écarté. Celui de Wira, caractérisé par une description froide et technique des canaux et digues néerlandaises, subit le même sort. Bien sûr, des ouvrages tels que l’Afsluitdijk qui séparait la Mer du Nord du Lac de l’Yssel, étaient mentionnés, mais le sujet était couvert de manière bien plus harmonieuse par Sous le Voile Blanc d’Amsterdam, qui utilisait l’humour pour illustrer ces œuvres prestigieuses.
« Fulco est très fier de la gestion hydraulique de son pays, expliqua Maarten, et il assomme ses compagnons d’explications techniques alors qu’il leur fait visiter les canaux d’Amsterdam.
- La Randonnée Savante aussi illustre cette ingénierie hydraulique, attaqua soudain Douglas. L’auteur s’intéresse aux lignes d’eau de défense qui parcourent le pays ; ces réseaux de digues et d’écluses combinés aux plans d’eau naturels, et parsemés de fortifications, qui permettent d’inonder les terres pour les rendre impraticables par l’ennemi…
- Mon dernier manuscrit aussi parle des canaux, coupa Maarten, fatigué de l’air académique de Douglas.
- C’est surtout un fourre-tout de traditions, contra Wira. Les champs de tulipes, les moulins, les sabots, les marchés aux fromages, l’architecture, tout y est. Mais il n’y a pas d’histoire, juste des descriptions.
- L’architecture est présentée dans un contexte naturel dans mon manuscrit, réitéra Douglas, plus théâtral. Les sédiments argileux charriés par le Rhin ont fourni un matériau de construction abondant aux Pays-Bas. La briqueterie se développa en conséquence, ainsi que l’architecture traditionnelle à base de briques…
- Tous les éléments du dernier fourre-tout de Maarten apparaissent dans Sous le Voile Blanc d’Amsterdam, précipita Antoine en élevant la voix. Lorsque les protagonistes sont au marché de Noël, les sabots en bois, les moulins miniatures, et les tulipes en faïence de Delft sont introduites. Tous les incontournables sont présents, sans assommer le lecteur de détails, ajouta-t-il en défiant Douglas du regard.
- Même les fromages néerlandais sont dans son manuscrit, ajouta Wira. Les protagonistes perdent le contrôle de leur vélo sur le canal gelé et atterrissent dans une fromagerie, renversant les maquettes des marchés aux fromages… ».
Le débat se poursuivait, prenant l’allure d’une joute entre La Randonnée Savante et Sous le Voile Blanc d’Amsterdam. Le ton monta alors que le débat touchait à sa fin…
« Le texte de Maarten parle-t-il de Van Gogh ? De Multatuli ? défia Douglas, agressif.
- Ni l’art ni la littérature ne sont mentionnés, reconnut Maarten, mais d’autres éléments le sont, comme l’afrikaans et les Boers !
- Et ton texte parvient-il à tout mettre sous le thème de l’hiver à Amsterdam ? méprisa Douglas.
- C’est là qu’est le génie ! explosa Maarten. D’une simple promenade hivernale dans Amsterdam, l’auteur intègre de très nombreux éléments de la culture néerlandaise ! Tout apparaît naturellement au cours des péripéties, hilarantes par ailleurs, sans forcer la narration !
- Exactement ! intervint Wira, c’est la protagoniste sud-africaine qui tente d’expliquer au propriétaire de la fromagerie la cause de leur accident. Elle parle afrikaans, ce qui est considéré comme ridicule par les Néerlandais. Mais quand arrive l’officier de police, un descendant des Boers et fier de son héritage, ce dernier se met lui aussi à parler afrikaans.
- Les trois protagonistes sont ensuite libres de quitter les lieux et rentrent à leur hôtel, conclut Maarten. Ils sont épuisés par leur visite d’Amsterdam, qui s’est révélée être une expérience intense de la culture néerlandaise ».
Déjà assailli par les critiques de ses collègues, Douglas fut achevé par Annabelle. Son texte était certes génial, mais il était trop didactique. Celui de Maarten en revanche, répondait aux exigences du lectorat du journal, en plus de sa grande qualité. Vexé, Douglas quitta la salle de réunion, accompagné des moqueries d’Antoine.
Maarten reçut les félicitations de ses camarades, pendant qu’Annabelle répondait à un coup de téléphone urgent. Il ne pouvait s’empêcher de penser que l’ensemble des textes débattus aujourd’hui avait offert un très bel hommage à sa chère culture néerlandaise. Il s’imaginait maintenant tout proche de Máxima le jour de la remise du prix, la bise qu’il recevrait… le contact des joues... il en rougissait d’avance…
« C’était le représentant de la famille royale, annonça Annabelle en raccrochant. Suite à un empêchement, c’est la reine Beatrix qui distribuera les prix ! »
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